Giuseppe Maria Crespi << Retour

Giuseppe Maria CRESPI, dit Lo Spagnolo
(Bologne, 1665-1747)

L’Arrestation du Christ.
Vers 1687-1690.

Huile sur toile – 75 x 93,5 cm.

Provenance :
. Londres, Trafalgar Gallery.
. France, collection privée.

Ce tableau, de grande qualité et en parfait état de conservation, représente Jésus serré entre ses bourreaux au moment de sa capture, dans une obscurité nocturne que le flambeau porté au premier plan par un des soldats ne parvient pas à éclairer. L’intensité de l’expression du Christ, émotivement et mentalement étranger à l’action parce que conscient de ce que d’ici peu il devra subir, absent, indifférent aux insultes des gardes, est soulignée par le choix de la composition qui resserre dans un espace étroit les protagonistes du drame. L’œuvre est à l’évidence celle d’un peintre de valeur ; un artiste pénétré du sens du récit qu’il doit interpréter, doté d’un talent naturel développé avec intelligence, qui – c’est évident – se manifeste dans l’art de l’invention et la magnifique vérité du rendu, d’une vivacité et d’une sûreté inhabituelles. Qu’on note le contraste, si parlant, entre la teinte chaude de la carnation du Christ, pourtant en partie dans l’ombre, et le ton profond du manteau bleu, de la robe rouge ; ainsi que le pathos que ce schéma de composition resserré dégage en comprimant, dans cet endroit, certes ouvert, mais malgré tout fermé par l’émergence des objets, une scène d’une signification si essentielle pour l’humanité. Les caractéristiques ainsi succinctement énumérées conduisent à attribuer ce splendide tableau au grand talent de Giuseppe Maria Crespi, l’artiste qui, de la fin du XVIIème siècle jusqu’aux années trente du siècle suivant, rendit à Bologne le rôle de premier plan que l’histoire lui avait déjà donné, au temps des Carracci et des Incamminati, deux siècles durant modèle obligé pour tout artiste de talent, non seulement en Italie mais dans toute l’Europe. Il est évident que la matrice culturelle de l’œuvre est entièrement inspirée par le Guerchin, avec son contraste de lumières et d’ombres, la solide construction des formes, la manière même de peindre, avec ces empâtements riches, concrets, à la matière dense ; un maître que Crespi à ses débuts admira au point d’exécuter plusieurs copies de ses toiles les plus célèbres. De fait la copie du tableau du Guerchin représentant l’Extase des saints François et Benoît, qui figura à l’Exposition commémorative de Crespi en 1948 à l’initiative de Roberto Longhi est bien de sa jeunesse, de cette période où le jeune peintre, qui à l’époque partageait son atelier avec Giovanni Antonio Burrini, après son apprentissage auprès de Domenico Maria Canuti et ensuite de Carlo Cignani, expérimentait ce qu’il avait pu apprendre dans ses longues journées d’étude sur ses prédécesseurs de l’école bolonaise, au cours de ses voyages en Vénétie, à Parme et Modène, à Pesaro et Urbino où il se rendit pour étudier, si l’on en croit les écrits de son fils Luigi, de Zanotti et enfin de Lanzi. De ces longues études sont nés des tableaux dont le Noli me tangere de la collection Mahon à Londres – qui partage avec l’œuvre en question la tonalité sombre de la palette, la touche du pinceau – et plus encore le magnifique tableau de l’église de San Salvatore à Bologne, la Prédication du Baptiste, une des premières œuvres auxquelles le jeune et prometteur artiste apporta toute son attention, un véritable chef d’œuvre.

Le trait est identique dans le rendu des drapés, des anatomies des protagonistes des deux épisodes évangéliques ; assez voisine la manière de passer de l’ombre à la lumière sur les deux visages ; et dans la description des personnages au second plan se retrouve la même façon de relever par de brefs traits de pinceau imprégné de blanc les détails à mettre en évidence. Même certaines maladresses évidentes dans la description, par exemple, des mains du Christ, trouvent leur équivalence dans le Baptiste déjà cité ; ainsi par analogie peut-on procéder à la comparaison avec l’extraordinaire retable de San Nicolò degli Albari, le Saint Antoine tenté par les démons, premier succès public de Crespi : il l’exposa en 1690 et il lui fut commandé par Carlo Cesare Malvasia, jusqu’à la fin expert dans la reconnaissance du talent.

Je crois qu’il faut situer le tableau de l’Arrestation, qui se qualifie donc comme importante adjonction au catalogue de Crespi, peu avant le Saint Antoine, entre les années 1685 et 1690, la période la plus intensément baroque de ce maître. Il faut encore rappeler ce qu’écrivait sur sa manière de peindre Luigi Lanzi, en termes qu’il ne voulait pas positifs mais qui pour nous restituent la réalité de la matière de cette œuvre : Crespi avait l’habitude d’employer « peu de couleurs, choisies principalement pour l’effet à produire, de mauvaise qualité et très grasses ; des gommes employées pour colorer, que d’autres emploient pour adoucir ; des coups de pinceau parcimonieux appliqués avec intelligence».

On se souvient que dans les années soixante-dix l’œuvre était sur le marché anglais de l’antiquité, à la Trafalgar Gallery ; sur un catalogue de vente de cette galerie l’œuvre est attribuée à un maître romain anonyme du XVIIème, influencé par la peinture bolonaise contemporaine. Une telle attribution, qui correspond à un avis de Carlo Volpe, appuie notre proposition, à la lumière d’une meilleure connaissance du catalogue de Crespi, en raison des fortes similitudes des tableaux de jeunesse de Crespi avec l’œuvre, par exemple, d’Annibale Carracci ou de Lanfranco.

Donatella BIAGI MAINO