Liberale da Verona << Retour

Christ à la colonne.
Vers 1490-1495.

Tempera et huile sur panneau.
55,4 x 45,2 cm.

Bibliographie:
. W. Arslan, Contributi alla storia della pittura veronese. 2. Due inediti di Liberale, in « Bollettino della Società Letteraria di Verona », 1933, pp. 5-6.
. G. Fossi, in La Fondazione Roberto Longhi a Firenze, Milan, 1980, pp. 252-253.
. A. De Marchi, a.v. Liberale da Verona, in La Pittura in Italia. Il Quattrocento, Milan, 1987, pp. 664-665.
. M. Gregori, in Gothic to Renaissance. European Painting 1300-1600, catalogue de l’exposition, Colnaghi, Londres-New York, 1988/89, n° 9.
. D. Scrase, London, Colnaghi, From Gothic to Renaissance, in “The Burlington Magazine”, CXXX, n° 1029, Décembre 1988, p. 942 et fig. 73.
. Auf Goldenem Grund, catalogue d’exposition sous la direction de J. Kräftner, Liechtenstein Museum, Vienne, 2008, pp. 78-79, n° 40.

Exposition:
. Colnaghi, Gothic to Renaissance. European Painting 1300-1600, Londres, 26 octobre-12 novembre 1988 ; New York, 23 novembre 1988-28 janvier 1989, n° 9.
. Vienne, Liechtenstein Museum, Auf Goldenem Grund, 12 Décembre-14 Avril 2009, cat. 40.

Le Christ est attaché à la colonne qui se trouve derrière lui dans la pénombre, mais sur laquelle les cordes enroulées sont bien visibles. Cette image tourmentée est teintée d’un fort expressionnisme, qui s’exprime dans la torsion de la tête, la puissance musculaire du torse, la bouche à demi ouverte découvrant les deux rangées de dents, les yeux baissés. Une certaine distorsion générale exprime l’épuisement, l’indicible souffrance, soulignée par les minces filets de sang qui coulent du front et du cou, et les larmes.

On remarque les talents de dessinateur du peintre qui détaille au pinceau les boucles de cheveux et de barbe, les rides, la pointe des seins, la corde, les larmes qui se détachent des paupières et roulent sur le visage jusque sur les côtés du nez. Au-delà des modèles mantégnesques dont Liberale a certainement eu connaissance, il faut voir ici l’influence des peintres du Nord de l’Italie, où il voyagea, et plus particulièrement d’Antonello de Messine et de Giovanni Bellini. Probablement Liberale connaissait-il aussi les gravures de Martin Schongauer qui commençaient à circuler en Italie dans la dernière décennie du siècle.

Contrastant avec ce talent descriptif, l’esquisse très enlevée de l’auréole et le rendu des volumes musculaires par de puissants clairs-obscurs façonnent le style visionnaire et dramatique de ce peintre qui « savait faire pleurer les figures » comme disait Vasari. Au XVIIIème siècle encore un peintre comme Gian Bettino Cignaroli s’émerveillait des ombres de Liberale :

« […] dans les peintures de Liberale on reconnaît […] un relief qui provient des ombres audacieuses et bien disposées dont on pourra difficilement trouver l’équivalent à l’époque.
Il est parvenu à exprimer les passions de l’âme avec une habileté extrême, ce dont Vasari l’a tant félicité, […] » (1)

Ce Christ à la colonne se situe évidemment après le long séjour en Toscane de l’artiste, de 1466 à 1476, son voyage à Venise où les archives nous disent qu’il résidait en 1487 et son retour à Vérone en 1489. Les deux autres versions du même sujet, celle du Musée du Petit Palais à Avignon (43 x 36 cm) (fig. 1), qui présente un Christ plus jeune, plus mince, sans barbe, plus dure dans son style et celle de la collection Roberto Longhi (fig. 2), qui se rapproche de celle du Musée du Petit Palais, mais moins expressive et coupée sur plusieurs côtés (on ne voit que le départ des bras ; les yeux sont presque clos) datent eux aussi de la fin de la neuvième décennie du XVème siècle. C’est l’époque de la Pietà de l’Alte Pinakothek de Munich (fig. 3), l’un des chefs-d’œuvre de Liberale, où l’artiste peint d’une manière adoucie et sensuelle une scène d’une grande expressivité et d’une composition très originale. On remarquera notamment la similitude entre les boucles de cheveux, les yeux et le tracé des sourcils de notre Christ et ceux de l’ange de droite dans la Pietà de Munich, la description très précise des pointes des seins du Christ dans les deux tableaux. Ainsi que le faisait remarquer Mina Gregori, les traits marqués du visage sont aussi caractéristiques de la maturité de Liberale, comme on le voit dans les anges et les prophètes des fresques signées de la Chapelle Bonaveri à Sant’Anastasia (Vérone), qui datent de 1491/92, et plus particulièrement encore dans la magnifique Déposition qui se trouve dans la même Chapelle, dans une lunette.

La gamme de couleurs est celle d’après 1470, date vers laquelle il abandonne les teintes vives des peintres véronais au profit des demi-teintes correspondant mieux à la poésie qu’il veut exprimer. Les carnations aux chaudes tonalités traduisent la souffrance physique de l’homme, encore bien vivant.